Ce qui va suivre est une histoire pas si extraordinaire que cela mais elle est vraie, je l'ai vécue avec mon frère et un ami.
Nous sommes Mai en 1991, à Strasbourg. Il est 22 heures et je suis au restaurant avec mon frère et un ami.
Nous discutons de choses et d'autres et il vient à mon frère l'idée d'escalader en pleine nuit la cathédrale de Strasbourg jusqu'à la flèche.
Au départ, cela nous a fait bien rire car cette aventure interdite était risquée et pour plusieurs raisons.
Tout d'abord Le moindre bruit aurait alerté la population car vous le savez peut être, la nuit, les bruits portent plus loin que le jour et c'est normal, notre sens auditif est plus sensible lorsque la vue est limitée. Qu'on se le dise, on entend donc mieux la nuit que le jour.
De plus, la cathédrale est confinée et Le moindre bruit fait écho. Comme il est impossible d'entamer l'ascension avant une heure bien avancée de la nuit, c'est à dire quand le site est moins fréquenté, voir plus du tout, il nous faudrait progresser avec d'infinies précautions sur un parcours à priori inconnu et certainement long. Nous ne pouvions pas prévoir les étapes et encore moins le timing. De plus, cela semblait risqué compte tenu de l'étroitesse de certains passages que j'avais pu observer en la visitant de jour et le plus officiellement du monde. Eh puis il y avait aussi les risques de chute avec tout ce que cela comporte comme blessures possibles et peut être irréparables, sans oublier les rencontres possibles avec des vigiles... Allez savoir ! Je faisais remarquer qu'il fallait mettre tous ces paramètres bout à bout et tenter une ébauche de scénario avant de prendre la décision.
A l'époque, j'étais le seul à avoir une bonne formation de grimpeur. Sans moi, rien ne se serait fait. Mon frère tenait à ce que j'assure cette fonction de guide ou premier de cordée dans cette folle équipée.
Nous avons mis un moment à décortiquer le scénario de cette aventure et à imbriquer tous les cheminements possibles car il n'y avait eu aucune reconnaissance de jour. L'idée faisant son petit bonhomme de chemin, nous échafaudons un plan ou chacun à son rôle et sait quoi faire en cas de besoin. A l'époque des faits, il n'y avait pas d'échafaudage autour de la flèche comme on le voit sur la photo.
Décision est prise d'aller au bout de notre défi, bref, d'envisager sérieusement d'y aller et la tentative d'ascension débutera au pied des échafaudages installés coté droit de l'édifice. C'est là qu'il y a semble t-il le moins de monde malgré le parking car il n'y a pas de fenêtres d'habitation. De plus, pour un premier exercice avec des personnes dont je ne connais pas les qualités physiques, je préfère une autoroute à une escalade murale dusse t-elle être du premier degré.
C'est décidé, c'est pour ce soir !
Nous convenons de nos tenues vestimentaires, des équipements et des rôles de chacun avant de nous séparer pour nous préparer chez nous et nous retrouver.
De retour au restaurant, j'inspecte tout le monde et donne les dernières consignes. Je vérifie que personne n'emporte de papiers d'identité et de matériels non convenus. Même les appareils photos n'étaient pas du voyage. Les pansements, briquets, petites cordelettes, mousquetons, sucres, etcetera... Tout est là et bien accroché. Pour moi, il n'est pas question que quelque chose se détache de nous et aille se fracasser je ne sais où au sol et risquer de blesser quelqu'un, ou se perde quelque part pour tomber entre les mains de je ne sais qui... Pas plus d'ailleurs de casser quoique ce soit de l'édifice.
Nous voulions vivre une aventure, et rien d'autre.
Il est 23h30 , nous sommes garés place de la cathédrale. Notre véhicule est positionné en face à l'échafaudage. Pas un mot plus haut que l'autre dans la voiture. Pas de mot du tout d'ailleurs. Je perçois tout de même un mélange de crainte et d'appréhension chez mes compagnons. Moi j'ai l'habitude de ce type d'opérations commando; c'était mon métier il n'y a pas si longtemps encore.
Nous observons et balayons du regard l'ensemble du paysage, essayant de trouver quelque chose qui allait nous faire rebrousser chemin. Tout le monde attendait le top. Mon top départ !.
Au pied de cette cathédrale il n'y a personne. La nuit est claire, il y a du vent, et en silence, nous observons l'échafaudage.
Nous évaluons le temps qu'il nous faudra pour nous retrouver sur le premier chemin de ronde au premier étage sans faire de bruit et en empruntant l'itinéraire convenu; Sur place, je vois les choses différemment. Il faudra 15 minutes si les trappes des panneaux s'ouvrent. Sinon, il en faudra plus. Nous ne savons rien de ce que nous allons trouver; Y a t-il des caméras, des systèmes de détection, des cul de sac, des dangers particuliers tel que des dalles fragilisées par l'érosion et le temps, bref, c'est l'inconnue. Personne n'a accès à ces lieux mis à part les ouvriers chargés de l'entretien de cet édifice.
Après une demi heure d'observation, je donne les consignes et fais répéter à chacun son rôle. Je précise à nouveau qu'à l'époque, j'étais entre autres choses, moniteur d'escalade et qu'à ce titre, j'avais ce soir là, un rôle à jouer. La difficulté de franchissement de l'ouvrage était à mon sens du premier degré donc accessible à tous mais tout de même, je n'avais jamais fait de sortie de ce type avec mon frère et notre ami commun.
A un moment donné, j'estime qu'il faut y aller. Rien d'inquiétant n'est venu perturber les lieux depuis une demi heure. La voie est libre et je prends la tête de l'expédition. Je vous dis pas les chocottes que nous avions ce soir là au début de l'ascension avant de nous retrouver sur la première plateforme.
L'échafaudage est solidement fixé, ne fait pas de bruit de ferraille et les 3 premières trappes sont accessibles. Pour les 6 dernières, il faut escalader le long des châssis. Nous atteignons sans bruit et à pas feutrés le chemin de ronde en 10 minutes.
C'est Pas mal pour une équipée préparée à la va vite ! Nous faisons le tour de l'édifice par l'avant et le spectacle qui s'offre à nous est splendide. Nos avancées sont ponctuées d'arrêts de sécurité et d'observations. Juste le temps d'admirer, de toucher ce que beaucoup de strasbourgeois ne touchent pas et ne toucheront vraisemblablement jamais.
Nous communiquons aux gestes. Pas un mot, rien qui puisse éveiller l'attention. La cathédrale est encore confinée au niveau ou nous sommes et le moindre bruit se délite par un effet d'écho. Il faut faire attention.
Le chemin de ronde est assez large, environs 80cm voir un mètre... Les pierres sont en assez bon état et nous arrivons devant la grande rosace. Un second arrêt s'impose. Juste le temps d'admirer le gigantisme de l'ouvrage. Regardez plus bas, sur la photo, vous verrez où nous avons stationné. Juste en bas de la rosace. Cette rosace nous apparaît grillagée et aucun pigeon n'a accès au vitraux plusieurs fois centenaires.
Sur l'édifice, nos premières pauses sont assez longues et surtout les deux premières car il nous faut scruter le terrain et le moindre indice douteux.
Après cette première halte, nous reprenons notre progression et faisons le tour de l'édifice sans avoir trouvé de passage assez franc pour atteindre l'étage supérieur. Les multiples escaliers en colimaçon sont fermés, grilles cadenassées. l'escalade me parait risquée pour le moment. Nous poursuivons et faisons le tour de la partie qui supporte la flèche ( partie gauche ).
Derrière, je trouve enfin une possibilité d'accéder plus haut en escaladant les colonnes d'un escalier en colimaçon. C'est un endroit qui me semble à la portée de débutants que sont mes deux compagnons d'infortune.
Je passe et suis le premier à grimper. Les prises sont bonnes, pas d'obstacle majeur et je trouve enfin un passage pour accéder à l'escalier;
Je fais signe aux autres de me suivre et nous nous retrouvons sur la plate forme basse du clocher. Impressionnantes ces cloches ! Je me demande bien comment elles sont arrivées là.
C'est là que nous entendons des gens parler. la frayeur est telle que nous nous asseyons dans un coin, en silence pour écouter. Les personnes semblent être à une trentaine de mètres de nous, immobiles et semblent manger. Je peux vous dire que l'idée de faire demi tour nous a effleuré l'esprit. Nous sommes perdus et Il faut prendre une décision.
Je décide d'attendre et fais passer le message. Il faut attendre, je ne sais pas pourquoi mais c'est tellement irréel d'avoir des gens sur cet édifice à cette heure tardive et en plus qui se tapent la cloche que je me dis qu'il faut observer ça un moment avant de rebrousser éventuellement chemin.
Décision est prise de rester et d'observer le manège. De ces balbutiements et rigolades feutrées qu'on entend à quelques mètres de nous, on remarque que ces personnes sont jeunes et vraisemblablement étudiantes .
Seraient-ils aussi des visiteurs comme nous?
D'un seul coup, il y a un réchaud qui s'illumine, ça sent le fromage et ils mangent. Étonnant spectacle qui s'offre à nous. De notre coté, personne ne bronche. On observe pour comprendre.
La cathédrale serait visitée la nuit?
Nous ne serions pas seuls à penser de telles aventures?
Franchement, je ne sais quoi faire et il faut en découdre. Je pense sincèrement qu'il n'y a pas de danger à approcher et à nouer un contact; Le tout est d'y aller mollo pour ne pas provoquer de crise cardiaque.
je propose de me rapprocher seul de ces gens. Je me lève lentement, sans bruit et commence à marcher vers ce groupe de jeunes. Mon approche semble interminable et je panique à l'idée de tomber dans un trou. Je distingue à peine le sol et la luminosité est faible. Je fixe la lumière bleue de ce réchaud jusqu'au moment ou je me rends compte que ces gens ne sont autre que des étudiants, en mal d'aventure et qui ont décidé de fêter un anniversaire sur la plateforme de la cathédrale de Strasbourg en consommant une raclette.
Je cesse toute approche tranquille et je presse le pas vers eux tout en faisant attention. Ce plancher est en bois d'arbres mais il a peut être plusieurs siècle et les années ont pu le fragiliser. J'avance avec les bras horizontaux pour attraper une surface saine en cas d'effondrement.
La surprise de ces jeunes est grande en me voyant pour la première fois. La jeune fille est terrorisée mais je dis de suite de ne pas avoir peur et de rester calme. je me présente spontanément et fait part de nos intentions.
Les leurs sont les mêmes et il s'en suit une franche rigolade, la main devant la bouche...
Dernière édition par Roger le Mer 6 Aoû - 23:45, édité 7 fois